Trump repousse l'augmentation des droits de douane : soulagement ou alerte rouge pour les entreprises ?
La date était encerclée en rouge dans tous les calendriers des directions commerciales européennes. Le 9 juillet 2025 devait marquer l'entrée en vigueur des droits de douane « réciproques » de Donald Trump, après trois mois de suspension. Pourtant, l'échéance a de nouveau été repoussée au 1er août. Cette temporisation illustre le paradoxe de la politique commerciale trumpienne : entre soulagement immédiat et anxiété croissante, les entreprises naviguent dans un brouillard d'incertitudes qui pourrait s'avérer plus paralysant que les droits de douane eux-mêmes.
Des montagnes russes pour les marchés financiers
L'année 2025 a été marquée par une extrême volatilité des marchés, directement liée aux annonces de droits de douane de Trump. Le « Jour de la libération » du 2 avril restera gravé dans les mémoires : les indices américains ont perdu 3 100 milliards de dollars en une seule séance. Le Dow Jones a plongé de 4 %, le S&P 500 de 4,8 % et le Nasdaq de 6 %, marquant la plus forte chute depuis la pandémie.
Quelques jours plus tard, l'annonce d'un délai de 90 jours pour les négociations a provoqué l'effet inverse : le Dow a bondi de 8 %, le S&P 500 de 9,5 % et le Nasdaq de 12 %. En mai, un accord-cadre avec la Chine ramenant les droits de douane de 145 % à 30 % a encore fait grimper tous les indices d'au moins 2,8 %.
Cette montagne russe financière témoigne de la nervosité des investisseurs face à une politique commerciale imprévisible, où chaque annonce peut faire basculer des milliards de valorisations.
L'inflation repart à la hausse
L'impact économique ne s'est pas fait attendre. L'inflation américaine a rebondi à 2,7 % en juin 2025, marquant deux mois consécutifs de hausse. Cette résurgence confirme les mécanismes décrits par les économistes : environ la moitié des importations américaines sont des produits intermédiaires nécessaires à la fabrication de biens finis.
Doug Irwin, professeur au Dartmouth College, rappelle que « si vous regardez un avion Boeing ou une automobile fabriquée aux États-Unis... elle est vraiment d'origine internationale ». Les entreprises répercutent ensuite ces coûts supplémentaires sur les consommateurs. Une étude de 2019 de la Banque fédérale de New York avait déjà constaté une « répercussion complète » des droits de douane de 2018 sur les prix domestiques.
Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, a reconnu le 18 juin s'attendre à « davantage » d'inflation des biens, confirmant l'impact des politiques de droits de douane.
L'Europe dans la ligne de mire
L'Union européenne se trouve désormais en première ligne. Trump a annoncé des droits de douane de 30 % sur les biens de l'UE à partir du 1er août, forçant Bruxelles à réagir. Le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, a exprimé son « regret et sa déception » tout en maintenant l'espoir d'une solution négociée.
L'Allemagne apparaît comme la plus exposée. Avec près d'un quart de ses exportations vers les États-Unis, Bruegel estime l'impact potentiel à 0,4 % du PIB allemand. Andrew Hunter de Moody's confirme que « l'Allemagne se distingue comme l'économie européenne majeure qui sera probablement la plus durement touchée ».
L'Irlande présente un profil encore plus risqué. Plus de la moitié de ses exportations vont vers les États-Unis, et Trump évoque des droits de douane de 200 % sur les produits pharmaceutiques — secteur représentant 55 % des exportations irlandaises. Bruegel estime une perte cumulée de 3 % du PIB irlandais d'ici 2028.
Les contre-mesures européennes
L'UE a préparé des contre-mesures sur 72 milliards d'euros d'importations américaines, ciblant l'aéronautique, les machines, l'automobile, la chimie et même le bourbon. Cependant, Sylvain Broyer de S&P Global Ratings prévient que « l'UE dépend fortement des services américains, particulièrement dans la technologie, les paiements et le conseil », rendant les représailles complexes.
Le phénomène « TACO » : l'accoutumance des investisseurs
Une évolution révélatrice est l'émergence du phénomène « TACO » (Trump Always Chickens Out). Contrairement aux paniques d'avril, les annonces récentes laissent Wall Street de marbre. Bret Kenwell d'Etoro explique cette « fatigue des gros titres » par « la réalisation que ces annonces commerciales sont une tactique de négociation plutôt qu'une position ferme ».
Quand Trump a doublé les droits de douane sur l'acier en juin, les marchés sont restés impassibles. Cette accoutumance masque pourtant une réalité : malgré les reculs tactiques, le taux de droits de douane effectif a atteint 20,6 %, le plus élevé depuis 1910 selon le Yale Budget Lab.
L'incertitude paralyse l'investissement
Au-delà des impacts sectoriels, c'est l'incertitude qui devient problématique. La Fédération nationale des entreprises indépendantes américaines rapporte que la part des PME prévoyant des investissements a atteint son plus bas niveau depuis avril 2020. « L'économie continue de fonctionner difficilement jusqu'à ce que les principales sources d'incertitude soient résolues. Il est difficile de diriger un navire dans le brouillard », note l'organisation.
Cette volatilité oblige les entreprises à repenser leurs modèles opérationnels. Dans un tel contexte, les outils de financement flexibles et de gestion des risques liés au changement deviennent particulièrement pertinents pour naviguer dans cette incertitude devenue structurelle.
Négociation ou escalade ?
Malgré les tensions, plusieurs économistes restent optimistes. Joerg Kraemer de Commerzbank estime que « les deux parties [États-Unis et Union européenne] parviendront à un compromis » avec un taux de droits de douane moyen européen « d'environ 15 % ». Salomon Fiedler de Berenberg rappelle que « Trump a toujours pris des positions extrêmes au départ, puis a fait des compromis ». Le fait qu'il menace pour le 1er août « au lieu de l'implémenter plus rapidement, suggère qu'il cherche encore à négocier ».
Les analystes de BNP Paribas s'attendent à ce que « des accords soient conclus avant le 1er août pour limiter la nouvelle augmentation des droits de douane », malgré un « risque d'escalade réciproque » accru.
L'art de naviguer dans l'imprévisible
La période qui s'ouvre sera déterminante. Elle révélera si l'approche trumpienne peut déboucher sur des accords durables ou conduire à une fragmentation du commerce international. Pour les entreprises européennes, l'enjeu dépasse la gestion des coûts : c'est leur capacité d'adaptation à un environnement fondamentalement imprévisible qui sera testée.
Face à cette nouvelle donne, les dirigeants doivent repenser leurs stratégies. L'époque de la planification sur des bases de droits de douane stables semble révolue. La nouvelle normalité impose une agilité permanente et des outils financiers sophistiqués pour naviguer dans cette incertitude devenue structurelle. Le rapport du 1er août offre un répit, mais ne doit pas masquer l'essentiel : l'ère de la prévisibilité commerciale appartient au passé.